• Svanhilde

    A l'aube des combats, de l'âge grandissant.



    Quand le Je rencontre et comprend Svanhilde, enfin.

    Te voilà, enfin. Longtemps que je te cherche, longtemps que je tâtonne, que je tapote sur ta peau en espérant y découvrir une brèche par laquelle me glisser. Mes mains ont accroché quelque chose, mes doigts se sont lentement introduits dans la chair, et lorsque j’ai senti, du bout des ongles, cette chose informe battant en rythme ton existence, ce cœur qui frappe, qui remue, qui blesse, j’ai hurlé. Dans un gémissement torturé j’ai déchiré ton enveloppe crème et j’ai pénétré, rude, en ton toi. Ce n’est qu’à partir de cet instant que j’ai réellement rencontré Svanhilde, celle qui se tait mais qui n’écoute pas.

    Te voilà, enfin. Tu es un cube à huit faces.

    Te voilà, enfin. Il aura fallut le choc des armes, il aura fallut le sang, il aura fallut la vision de ta propre mort pour que tu m’apparaisses, pour que je passe au-dessus des ‘on dit’, des faux semblants. Les évènements ont éclaté la poche qui te tenait à l’écart du monde, et la réalité bande à présent son arc en direction de ta poitrine. Maintenant je le sais: tu n’atteindras jamais les vingt ans.



    Quand Svanhilde se raconte, enfin.

    Mon nom est un symbole, mon nom est un blason. Je suis guerrière et je suis cygne. Je suis la guerrière qui s’élance, qui se débat, qui s’envole tel le cygne. Celle que les ailes enveloppent, celle que le rêve fait flotter dans l’air étouffant des Terres franques. Lève-toi, ce n’est qu’en grimpant sur les épaules des Géants que tu pourras apercevoir les monts enneigés du Nord; rester au sol, allongée, te fait prendre racine, te retient. S’impose le duel: quel est ton désir, Svanhilde? Quel est mon désir… Regarde, dresse-toi et regarde, là, au-delà des mers, se dresse, fier et orgueilleux, Asgard, où règne l’Ase entre les Ases, où se tient Odin, Dieu assoupi, ton Seigneur, ton Souverain. Un regard vers Athwys, l’un de ceux à qui tu as offert ton cœur, organe maintenant dispersé en de trop nombreux morceaux. A qui offres-tu la vie? A quel Roi donneras-tu ton regard?

    Mais Odin, Dieu borgne, n’a besoin que d’un œil, Svan, et tu en as deux.

    Alors, quoi faire, quoi penser. Ils t’ont fixé, un à un, lorsque éclatait Samain, et malgré leurs différences, malgré toutes les dissemblances qui creusent de glissants fossés entre Drogon, Joran, Lewan, Hengelst, et tant d’autres, leurs visages se sont accordés. Du dégoût. Une once d’horreur. Les yeux d’un Monstre, d’un Dragon. N’ai-je pourtant pas déjà touché un miroir? Mais il me revient, soudainement, les traits tirés de Lyr à l’annonce de cette particularité dont je n’avais jusqu’à présent pas prit conscience. Et Athwys, Neventer, Golistan, Firinn, Ambroise, Ysambre elle-même, eurent-ils un haut de cœur en me voyant au premier jour, leur regard sentait-il aussi la peur, la consternation, la répulsion? En me cachant cette originalité, en étouffant l’histoire qui fut mienne et en faisant taire Teine, tu m’as tué, Taliesin.

    Alors j’irais arracher à Alfrid, imposteur qui se délecte du souvenir de ses trahisons, l’épée qui aurait dû me revenir, l’arme qui viola corps sur corps, qui pénétra tête après tête. Le dernier miroir de Teine. Et contre ceux qui réclameront les tripes de Lig je lèverais mon arme, je hurlerais. Francs, Bretons, Normands, Celtes, peu m’importe, je couperais, je désarticulerais, je déchirerais. Ecoute, Lig, écoute le chant des Valkyries qui vient, harmonieux, apaiser tes oreilles. C’est pour toi qu’elles ont dressé la table dans le Halle des Occis, qu’elles y ont déposé le vin et les fruits du divin Jardin de Vanaheim. En ton honneur. Et assis en bout de table, muet mais attentif, se dresse Odin, le visage à demi recouvert. Il n’ose pas montrer aux neuf mondes sur lesquels il règne que Loki, génie du Mal aux lèvres de vierge, a prit possession de lui. Il te regarde et te donne mon existence, il jure sans qu’aucun mot ne passe ses lèvres que se battront aux côtés de ton peuple les Vertus nordiques. Je laverais la honte qui tâche l’arbre de mes ancêtres, et pour cela je n’userais que de mes bras. Ma vie est une promesse: j’ai cru en l’Utopie, j’ai rêvé de l’Intouchable, je mourrais pour eux. Plus ne m’est rien, je ne suis plus la jeune et prometteuse guerrière celte que je m’attendais à voir mûrir et se développer. Le destin, s’il existe, a reprit les ficelles et mon corps, ainsi que mon esprit, se meuvent selon son désir. Je ne suis ni pessimiste ni fataliste, je n’ai pas encore assez vu la misère pour l’être, je me laisse simplement glisser. En me laissant vivre, en acceptant qu’entre les dunes de sable grandisse la descendance d’une famille au passé écarlate, vous avez oublié d’être raisonnables. Vous avez couvé l’Immondice.

    Et lorsque se jetteront sur moi les guerriers bouffeurs de Dragon, qu’ils aient une femme ou des enfants, qu’ils aient une vie ou un avenir, je ferais jaillir le sang. Je suis née viking, je suis née fille d’Homme brave et violent, je suis née enfant de. A moi d’en être digne, à moi de secouer les plumes qui m’empêchaient jusqu’alors de voler, à moi de m’élever.

    Mais le cygne, majestueux, éclatant, ne peut soutenir de trop longues envolées. Il s’élance, il déploie ses ailes immenses, puis vient le moment de la Chute, contre laquelle il ne peut rien.

    Je suis Svanhilde, je suis presque femme. Que celui qui transpercera mon corps prenne le temps, avant de me laisser pourrir sur le sol qui m’a vu naître, de refermer mes paupières. Que disparaissent les yeux de Hel, que disparaissent les iris du Dégoût, et que meurt en paix ma lignée. 




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