• AUTOMNE | Tu te souviens, Vivaldi?

    Concours de Nouvelle sur les Quatre Saisons, ici l'Automne.



            Elle avait une démarche assurée, posée, se tenait droite comme les enfants de bonne éducation. Une longue jupe colorée lui chatouillait les chevilles à chaque pas, surmontée d’un long débardeur blanc tricoté main. C’était Cathy, la vieille voisine sénile du troisième qui lui avait gentiment fait, il y avait un peu plus d’un an de cela. Cathy, décidément, elle avait beau être folle et complètement débrayée, la faucheuse semblait encore bien loin de venir la chercher, dans son minuscule deux pièces… Elle devait sans doute en avoir peur! La jeune femme aux joues rondes étouffa un léger fou rire, tout en poussant la porte à double battant qui s’écarta de son chemin avec un long bruit grinçant. Deux mois qu’elle était dans cet état, à croire que le réparateur avait décidé qu’il serait original et drôlement intelligent de prendre ses vacances en plein milieu du mois de novembre. Iris renvoya brutalement la porte se retourner dans son cadre, ce qui arracha au bureau de l’accueil un grognement. Enfin, au bureau… Un homme, la quarantaine, déplia son corps longiligne derrière le comptoir, un bâillement à peine achevé pendant encore au bord de ses lèvres sèches. Il avait le regard dans le vague, la peau grisâtre recouvert d’une barbe de quelques jours qui lui donnait un air de hippie au lever du lit. Il s’assit nonchalamment sur un siège trop bas pour lui, avant de grommeler quelques insultes contre les ingénieurs créateurs du fauteuil à roulettes.

    - Salut Sam. Tu as une mine de bouledogue, ta femme t’a encore laissé dormir dehors cette nuit ? Il va vraiment falloir que tu penses à te faire un double des clés vieux !

    Pour toute réponse, elle obtint un bougonnement incompréhensible qui ne fit qu’allonger le sourire étirant sa bouche maquillée. Avec un clin d’œil amusé pour le dit Sam, elle reprit sa marche dans l’immense bâtiment vierge de toute couleur criarde. Même un aveugle trouverait cet endroit trop propre, trop étranger au reste du monde. A cette pensée, elle ferma les yeux, décidée de se prouver à elle-même qu’il lui était tout à fait possible d’avoir des idées logiques et utiles. Quand elle entendit le crissement des roulettes sur le sol glissant, elle sut instantanément qu’il était trop tard pour réagir. Elle retrouva précipitamment la vue, découvrant à quelques centimètres à peine un chariot de fer léger lui fondre dessus et apercevant, au loin, une silhouette catastrophée qui brayait en agitant les bras. Il s’en fallut de très peu. Le scalpel se plantât à deux centimètres au-dessus de sa tête, avant qu’un paquet de seringues ne lui frappent le ventre, les aiguilles tournées dans le sens opposé, à son grand soulagement.

    - Et bien… Ma p’tite Iris, pour une fois qu’être un microbe te sert à quelque chose… 5 centimètres de plus et j’étais bonne pour la boîte et l’église !

    Une jeune infirmière portant le doux prénom de Roxane, c’était écrit en caractères énormes sur la carte accrochée à sa poitrine, arriva à pas de géant, complètement épouvantée devant l’étrange tableau qu’Iris offrait à ses beaux yeux. Il ne fallut pas plus de trois minutes aux deux femmes pour tout remettre en l’ordre. En s’excusant pour la dix-septième fois, la stagiaire, puisque c’en était une, prit congé de sa soudaine coéquipière de ménage. Cette dernière ne s’en plaint pas et fit quelques pas avant d’arriver, enfin, devant la haute porte de bois qu’elle avait surnommée Thérèse. Une vieille blague. Après s’être rapidement recoiffée, elle frappa deux fois, le point serré. Quelques secondes plus tard, un homme en blouse blanche impeccablement repassée ouvrit, lui adressant un timide sourire. Non, forcé plus que timide. Iris les connaissait, ces sourires. Et c’était mauvais signe. Elle prit place dans la petite pièce éclairée par une unique lampe, le visage soudainement plus sérieux, la mine presque triste. Elle détestait ces jours là. Ces jours où il ne voulait plus rien, où il avait tout, tout oublié.

    - Bonjour Papa… Je… Je suis venue te rendre une petite visite. Marion m’a appelée hier soir, elle m’a dit que cela te ferait du bien. Alors… Me voilà. Je… Tu vas bien… ?

    Aucune réaction. L’être assis en tailleur sur le lit défait ne fit pas un seul mouvement, restant planté devant la large fenêtre ouverte, par laquelle le vent amenait feuille morte après feuille morte. Il avait le visage livide, les traits tirés, le corps plus qu’amaigrit. La peau sur les os, simplement. Son teint cireux, ses longues mains interminables qui accrochaient avec rage les bords de sa couche. Les pires horreurs peuvent se trouver dans les plus beaux et propres endroits. Quelque soit l’hôpital, jamais il ne parviendra à faire oublier cela… Cela…

    - Papa… Papa réponds-moi, s’il te plaît. J’en ai besoin tu sais, ta voix, tes mots… Papa, je t’en pris. Je t’en pris…

    Sa bouche vibrait, ses paroles se noyaient. Comme passer du tout au rien, elle était entrée le sourire tailladant son visage rond et frémissait à présent de tous ses membres. Il est de ces faiblesses qui ne vous quittent jamais vraiment. Un long et pénible râle fit fuir la colonie d’oiseaux qui se débâtaient dans le vieux chêne se tenant contre la vitre entrebâillée. Une main voulut rassurante se posa sur l’épaule de la jeune femme, dont la figure exprimait toujours l’effroi.

    - Partez. PARTEZ. Je ne vous connais pas… Je ne connais personne. Je ne connais que les feuilles, les feuilles, mortes. Mortes. ALLEZ-VOUS-EN. VOUS LES DERANGEZ.

    Iris poussa un cri aigu, puis s’affala au sol. Deux jeunes médecins apparurent et se postèrent entre l’homme survolté et la jeune femme.

    - Papa… Pa… C’est moi, Iris. Ta fille, ta plus jeune fille… Ta petite dernière… tu te souviens Papa… Dis-moi que… Vivaldi. Papa, Vivaldi, tu te souviens… La musique. Pa…

    Tout sembla se passer en un éclair. Une forme sombre se jeta sur les internes, furieuse, démente. Le médecin qui l’avait accueillie releva la jeune Iris, et l’extirpa de la pièce. Cette dernière reprit lentement son souffle, avalant ses larmes, tremblante de peur. Oh, non… elle n’aimait pas ces jours là. Elle les haïssait. Ces jours où il ne voyait plus rien, ces jours où il oubliait tout. Elle arracha à sa gorge un dernier gémissement, avant de quitter l'endroit. 

    Simplement.



  • Commentaires

    1
    Nyarin Profil de Nyarin
    Dimanche 30 Septembre 2012 à 09:55

    Howl, ou la Reine des Aèdes !

    Quelle beauté, quelle puissance... quelle souffrance. Mais c'est ce genre de souffrance qui vous rend masochiste...

    On aime, on en redemande, parce que, parce que, parce que.

    Ta plume chère amie dépasse tout ce qu'il m'a été donné de voir, et j'en reste encore bouche bée.

    Alors écris, écris encore, ne t'arrête pas ! Qu'importe le temps, qu'importe la Vie ?

    Ce n'est rien face à tout cela. Et moi je veux me noyer, je veux me fondre dans cet hurlement dantesque !

     

    Bravo à toi,

    Et, s'il te plaît.....

     

    Encore.

    2
    Homo Incognito
    Lundi 1er Octobre 2012 à 19:28
    Homo Incognito

    Je pleure, je pleure, mes larmes sont comme des feuilles mortes. Mais pourtant... J'aime les feuilles mortes. J'aime l'automne et j'aime Vivaldi. Le devrais je ?

    Merci pour ce cadeau. Je continue mes lectures, c'était mon premier texte de vous.

    3
    Eilwenn Profil de Eilwenn
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 09:59

    C'est étrange comme, au fil des mots, on est surpris, et pourtant, tout est évident, comme si l'on suivait un ruisseau, et que l'on s'apperçevait que c'était en fait un fleuve. Merci pour ces quelques minutes d'émerveuillement (et de frémissements, il faut le dire, j'ai eu peur pour Iris !)

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